Petit exemple pour se mettre en jambe : à quel point peut-on faire confiance à nos souvenirs ?
C’est très important, les souvenirs, ça nous construit, ça nous définit, parfois même… ça nous pourrit la vie ! C’est aussi ce qui potentiellement va envoyer quelqu’un en prison : « J’en suis sûre monsieur le juge, c’est lui que j’ai vu couvert de sang avec une arme à la main. » Bref, c’est hyper important.
Kathryn Braun étudie les souvenirs [1]. Elle a demandé à 167 personnes qui sont allés à Disneyland quand ils étaient petits de raconter leurs souvenirs.
A la moitié d’entre eux, avant de leur poser ses questions, elle montre une pub Disneyland dans laquelle on voit un petit enfant qui sert la main de Bugs Bunny. A l’autre moitié, elle ne montre rien.
Ensuite elle a fait passer des entretiens. Elle leur pose beaucoup de questions sur ce dont ils se souviennent, puis l’air de rien, à un moment donné, elle leur demande s’ils ont serré la main de Bugs Bunny. Elle note précieusement les résultats. Dans une colonne, elle note si la personne a vu la pub, dans l’autre elle note si elle se souvient d’avoir serré la pince à Bugs Bunny.
Voilà ce qu’elle obtient :
Question : que peut-on conclure ?
Réponse : eh bien rien !
Ce tableau est trop grand pour l’esprit humain. On n’arrive pas à l’appréhender, on ne peut rien en tirer.
Alors que… si je fais un petit résumé du tableau :
J’obtiens ce tableau résumé :
Pour compléter le tableau, je peux calculer le pourcentage de gens qui se souviennent de Bugs Bunny dans chacun des groupes, avec cette formule :
Et on obtient :
Dans le groupe “photo”, on obtient 16%, dans l’autre 7%. Autrement dit, dans le groupe auquel on a montré la photo, on trouve beaucoup plus de gens qui se souviennent de Bugs Bunny.
Sauf que Bugs Bunny est un personnage de Warner Bros, et donc il n’a jamais mis les pieds à Disneyland !
Patatra ! Tous ceux qui se souviennent de lui ont des faux souvenirs. Pourtant, quand on leur demande, ils sont vraiment sûrs d’eux, alors que c’est impossible.
En somme, nous avons découvert que
Ça fait un peu froid dans le dos !
Dans pas mal de systèmes judiciaires, les condamnations se font sur la base du témoignage.
Par exemple, en juillet 1984, Ronald Cotton a été condamné à la prison à vie pour le viol de Jennifer Thompson. Il a été condamné à la suite du témoignage de la victime, qui a assuré qu’il était son agresseur.
Dix ans plus tard, un test ADN a prouvé que Ronald n’y était pour rien… 10 ans de vie, ça fait cher payé le faux souvenir !
Retour aux stats et surtout à leur utilité : qu’est-ce qu’on a fait ? On a collecté des données. On a obtenu un tableau incompréhensible, trop vaste pour l’esprit humain. Alors on l’a résumé. Et là, un résultat hyper important est apparu.
C’est à ça que servent les stats :
Les statistiques résument des données trop grandes pour l’esprit humain en quelques nombres facilement interprétables.
Cela permet aux statisticiens (et à leurs amis médecins, psychologues, responsables RH, marketing, logistique…) de décrire le monde et de mieux le comprendre. Dans le cas présent, la conclusion est que pour avoir un système judiciaire juste, il vaut mieux ne pas trop se fier aux témoignages !
_______
Voilà, c’est la fin de cette introduction. La prochaine fois, je vous parlerai de bombes nucléaires, de délinquance et de réinsertion.
Vous pouvez retrouver à peu près la même chose en vidéo sur ma chaîne « Les stats ? Même pas mal !», chaîne de vulgarisation statistique disponible sur YouTube.
Enfin, si vous avez des exemples d’études statistiques étranges, loufoques, ou contre-courant, hors norme, déjantées, ludiques, éléphantesques… n’hésitez pas à les poster dans les commentaires ci-dessous, j’adore ça !
[1] BRAUN-LATOUR, Kathryn A., LATOUR, Michael S., PICKRELL, Jacqueline E., et al. How and when advertising can influence memory for consumer experience. Journal of Advertising, 2004, vol. 33, no 4, p. 7-25